lundi 24 mars 2008

Julia d'Erick Zonca

Julia - "Le coeur est tortueux, par dessus toute chose, il est méchant"


Julia, c'est Tilda Swinton, actrice d'une grandeur et d'une pâleur étranges, d'une beauté extra-terrestre. Julia, c'est elle. L'actrice fait corps avec le personnage, vit le film à travers tous les pores de sa peau dès les premières minutes. La caméra colle à Tilda/Julia à chaque plan, à chaque mouvement. Le titre nous annonce la couleur: le film reposera entièrement sur ses épaules. Zonca ne devait pas se tromper. Et il ne s'est pas trompé.

Le film suit donc le parcours tumultueux de Julia, alcoolique tout juste licenciée, sans argent et sans coeur. Elle vradouille sans y croire dans des réunions d'alcooliques anonymes où elle rencontre Elena, ancienne alcoolique complètement paumée, mère d'un garçon de huit ans vivant avec son grand-père depuis cinq ans. Elena propose à Julia d'organiser l'enlèvement de son fils que le grand-père lui interdit de voir. Elle promet à Julia de l'argent. Cette-dernière accepte, puis double la mère en enlevant elle-même l'enfant, dans l'espoir de demander une rançon au riche grand-père.

Soulignons la violence des scènes de l'enlèvement du petit Tom par Julia, peu commune dans les films de rapt d'enfants. Julia malmène Tom, le bâillonne, l'attache, le cache dans le coffre de sa voiture, le laisse seul dans le désert. Le petit garçon, victime de cette situation qui le dépasse, parvient tout de même à s'imposer dans cette course folle, grâce à une écriture parfaite de son personnage et une interprétation sans faille par le petit Aidan Gould. La relation qui se noue entre Julia et Tom ne tombe jamais dans les clichés, ni dans le trop facile syndrôme de Stockholm. Julia est paumée, Tom est intelligent. C'est le premier garçon qui lui résiste, elle qui use et abuse de ses charmes auprès des mâles qu'elle rencontre. Julia promet à Tom qu'il verra sa mère dont il ne se souvient pas, mais c'est elle, toujours elle qui est près du garçon. Elle, qui finalement, fera le choix d'une mère pour le petit Tom.

Zonca suit la trajectoire de ces deux personnages, diamétralement opposés. Julia est une femme adulte, Tom est un petit garçon. Julia est paumée, Tom affirme haut et fort qu'il veut réussir dans la vie. Et finalement, ce qui les réunira, c'est le coeur, celui que retrouve Julia. Pour Tom. Cette fuite éphémère, d'une grande sensibilité donne l'impression d'un cauchemar tendre. Il 'n'y a pas de véritable réveil. Zonca quitte ses personnages avant qu'ils ne se séparent. Superbe.

dimanche 23 mars 2008

It’s a free world de Ken Loach

It's a free world - Ken filme Barbie exploitée exploitant




It’s a free world. Devise éternelle de l’ultra libéralisme. Pour ne rien cacher, Ken Loach est plutôt de l’autre bord,en atteste sa filmographie et ses prises de position. Et ce film est un manifeste,rien de plus, rien de moins.

Ken Loach ne change pas avec l‘âge, il reste un spectateur attentif du monde qui l’entoure, et retranscrit sa vision toujours très fine de la société sur un mode se rapprochant du documentaire. Petit (gros) changement cette fois, il se place du point de vue de l’oppresseur. Ou plutôt de l’oppressé qui se mue en oppresseur pour s’en sortir.

Une jeune mère célibataire ( Angie ) enchaîne les petits boulots sans arriver à trouver un poste stable et suffisamment rémunéré pour (sur)vivre et s’occuper de son fils. Un jour,elle décide de créer sa propre agence de recrutement et ne reussi pas trop mal…en employant de multiples moyens illégaux ou immoraux.

Ici pas de jugements,juste une démonstration qui fait froid dans le dos par moment. Ce n’est pas le Tiers Monde qui est décrit ici,mais les sociétés occidentales actuelles et plus particulièrement Londres dont le système de protection sociale est inférieur au notre ( pour combien de temps?). Et la crédibilité de ce film le rend terriblement efficace. Loach évite parfaitement les artifices classiques: pointer du doigt un comportement individuel déviant (qui sera à la fin condamné sévèrement ou corrigé) et l’excuse unilatérale d’être une victime du système. L’ « héroïne » perd progressivement son humanité, tout en ayant la possibilité de faire marche arrière à plusieurs reprises, mais le processus de déshumanisation est enclenché. Kierston Wareing incarne superbement cette Angie, une battante qui se cherche, que l’on pardonne plus qu’on ne condamne malgré tout, et qu’on se surprend à soutenir.

A titre personnel je regrette le léger manque d’émotion dégagée qui aurait peut être apporter encore plus de poids au propos,manque d’émotion peut être dû à cette réalisation si particulière. C’est la première fois ou je regrette ça sur un Ken Loach (pour en avoir vu 5 autres), mais qui est peut être pour surligner encore plus la froideur de ce Londres réel bien loin des cartes postales de Trafalgar square ou de la reine mère et ses robes hideuses .

Très bon film donc, pas son meilleur pour ma part, mais une grande réussite assurément. Vivement le prochain!


Critique écrite par Chetito

vendredi 21 mars 2008

There will be blood de Paul Thomas Anderson

There will be blood - Naissance d'une nation


Le film s'ouvre sur noir, du sombre. D'emblée, un malaise s'installe. La musique rappelle les partitions des grands films d'horreur. "There will be blood" nous dit le titre. Le film l'illustrera très bien.

Le film de Paul Thomas Anderson, adapté du roman d'Upton Sinclair, "Pétrole!", traite de la naissance d'une nouvelle nation, celle de l'ultra-capitalisme, et d'un Etat faussement laïc où la religion, véritable opium du peuple, entretient des liens ambigües avec les faiseurs d'argent. Ici, on baptise ses enfants au pétrole (voir cette scène dans les premières minutes du film où Daniel place un peu de pétrole sur le front de son bébé pleurant), on arpente les Etat-Unis pour prêcher une nouvelle bonne parole -celle du pétrole, de l'argent-, on bénit les puits naissant.

La première partie du film raconte l'ascension de Daniel Plainview, en passe de devenir un magnat du pétrole, accompagné de son fils d'une dizaine d'années, H.W, son seul véritable associé. La relation père-fils est l'un des aspects les plus intéressants du film, et l'on regrette qu'il ne soit pas davantage développé, surtout lorsque intervient la scène centrale du film, celle qui conclut l'apogée de Plainview et entame sa chute: une explosion de gaz, qui fera perdre à H.W l'audition. La seule personne de confiance pour Plainview ne l'entend plus. L'homme est seul, l'enfant aussi. Cette carence naissante précipitera Plainview dans sa chute, lorsqu'un prétendu demi-frère vient prendre la place de H.W, celui-ci se retrouvant abandonné dans un train.

La famille est donc l'un des aspects -sinon l'aspect!- centraux du film. La famille dans ce qu'elle a de plus hypocrite, de plus désespéré. Henry gagne l'aspect de Plainview en se faisant passer pour son frère, Plainview abandonne son fils lorque celui-ci ne peut plus travailler avec lui, Paul, le frère du prêcheur Eli vend des informations à Plainview concernant les terres de sa famille. Tout n'est que mensonge, trahison et abandon. Le spectateur ne dispose d'aucun repère stable, Plainview sombrant peu à peu dans la folie. Le malaise éprouvé va crescendo, et le dernier tiers du film, très éprouvant, malmène le spectateur durant trop longtemps, sombrant dans le piège stupide de l'ennui. La structure elliptique de la dernière partie est assez mal maîtrisée, passant sous silence des aspects essentiels à l'intrigue (le conflit entre Plainview et H.W dont les origines et les conséquences sont tues) privilégiant les passages les plus glauques mais pas forcément les plus forts.

Ce film s'inscrit également dans cette nouvelle vague de films américains se voulant d'envergure, et se réappropriant l'espace américain, comme les récents L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Fort, No country for old men ou même encore Into the wild.

Bon en somme, "There will be blood" dispose d'une première partie magistrale, d'une très bonne deuxième partie et d'une troisième partie bâclée. Voilà ce qu'on appelle du potention non exploité. Mais ne boudons pas notre plaisir, le film reste excellent dans son ensemble, même si ce n'est pas le chef-d'oeuvre déclamé par l'ensemble de la critique.

Critique écrite par Cancan

jeudi 6 mars 2008

Juno de Jason Reitman

Juno - L’accouchement d’un film réussi


Juno est la petit comédie rafraîchissante de ce début d’année 2008. Pur produit du cinéma américain indépendant , ce film a connu un joli succès Outre Atlantique et survie plutôt bien en France malgré les poids lourds sortis à ses côtés. Ce film porté par le bouche à oreille à raflé l’Oscar du meilleur scénario original et a survolé les débats aux Independent Spirit Awards en remportant le Prix du Meilleur film ainsi que celui du Meilleur premier scénario Ellen PAGE, formidable dans son rôle d'adolescente enceinte, se voit décerner celui de la Meilleure actrice du haut de ses 20 ans.


Juno c’est une ado de 16 ans (Ellen PAGE),marginale,cause et/ou conséquence,d’un esprit vif ,d’un humour détonant et d’un sens de la répartie plus qu’enviable. Un jour,pour rompre l’ennui de sa banlieue dortoir,elle décide de coucher avec son meilleur ami, un gentil benêt bien moins éveillé qu’elle. Et ainsi surgit le drame, elle hérite d’un parasite pour les 9 mois à venir. Car rebutée par l’IVG (ou plutôt les conditions pour se faire avorter), elle décide de le mener jusqu’à son terme et de le confier à un couple adoptif parfait, selon sa définition. Du moins en apparence.


Sur un sujet casse gueule, Jason REITMAN (réalisateur du déjà très bon Thank you for smoking) évite tous les pièges que l’on pouvait craindre. Les esprits terre à terre y verront un danger public de recrudescence d’adolescente enceinte. Il ne faut pas compter voir un réquisitoire sur les méfaits d’une grossesse juvénile car ce n’est absolument pas le propos, l’intérêt est ailleurs. Il réside dans les personnalités et les relations des différents personnages. Le regard de la société est rapidement évoqué et les difficultés d’une grossesse à cet âge ne servent que de supports aux situations tour à tour drôles,cyniques ou attendrissantes. Les dialogues font mouche, le scénario est travaillé.Il faut aussi relever la rupture avec certains stéréotypes: un ado peut dépasser 30 de QI, les belles mères ne sont pas toutes d’affreuses mégères prêtes à congeler ou à dissoudre dans l’acide les progénitures de leur nouveau compagnon…


Impossible de passer sous silence le jeu des acteurs! Ellen PAGE est renversante, d’une justesse remarquable,d’une spontanéité étonnante. Voila sans doute une star montante du cinéma. J’ai pris plaisir à revoir J.K. SIMMONS (déjà croisé dans Thank you for smoking) qui est parfait dans le rôle du père de famille dépassé par sa progéniture qui ne lui laisse pas d’autres choix que d’être compréhensif et aux petits soins. Les autres sont très bon aussi.


On notera tout particulièrement une B.O. folk entraînante parfaitement choisie et un superbe générique de début qui met dans l’ambiance sans attendre. On regrette qu’une chose au final, c’est de devoir sortir de la salle si vite. Le film nous rappelle que les bons moments sont éphémères et qu’il faut retourner en amphi le lendemain,à coté de gens souvent bien moins subtils que Juno.

critique ecrite par Chetito

Soyez sympa, rembobinez de Michel Gondry

Be kind rewind - Les films faits à la maison



Le film dans le film, ou comment Michel Gondry nous expose les ficelles, les trucs et les machins, mais aussi (et surtout) les intentions de son propre cinéma.

"Be kind rewind" (gardons le titre original, le titre français pourtant littéralement traduit, rend très mal) est à Gondry ce que "La jeune fille de l'eau" était à Shyamalan. L'adhésion du public en plus. Car si dans "La jeune fille de l'eau", LE film incompris de 2006, la mise en abyme est moins évidente, dans "Be kind rewind" en revanche, c'est à peine si Gondry lui-même ne joue pas les rôles des deux interprètes principaux, d'ailleurs complémentaires puisque représentant le coeur et le corps (la tête se trouvant quelque part dans "La science des rêves").

Gondry, un peu comme Kusturica, aime déjouer les métaphores, les prendre au pied de la lettre, désincarner son cinéma de toute notion abstraite. Dans "Eternal Sunshine of the Spotless Mind", le corps prenait le dessus sur le cerveau (littéralement effacé), dans "La science des rêves", le cerveau prenait corps, était mis à plat dans un délire disséqué presque accidentellement. Pas de mystère chez Gondry, il montre. Tout est là. Et si le personnage de Danny Glover écrit sur une feuille "Keep Jerry Out" (Interdit à Jerry d'entrer), c'est bien parce que l'entrée de Jerry dans le vidéo-club est littéralement dangereuse pour les K7 à louer.

Cette honnêteté cinématographique, ce désir de rendre visible, clair et explicite ce qui est d'ordinaire abstrait ou métaphorique, explique également son utilisation de ficelles volontairement grossières ("La science des rêves" est un film fait à la main) qu'il dévoile entièrement dans "Be kind rewind". Nous assistons à un film où Gondry nous montre comment il fait des films. Son désir d'expliciter va jusque là. Et c'est cette volonté de faire un cinéma participatif, rassembleur, qui rend ses films non pas naïfs, mais profondément attachants.

On ressort de "Be Kind Rewind", comme de ses précédents films, avec un grand sourire et un amour universel (jusqu'à ce qu'un connard en voiture vous fasse une queue de poisson)... Et une énorme envie de réaliser un film "suédé". Pour comprendre, allez voir le film. =P

critique écrite par Cancan